Un extrait des Chants de Loss, tome 3 : Nashera
Un extrait des Chants de Loss, tome 3 : Nashera, pour vous donner envie de découvrir les romans qui ont donné naissance au jeu de rôle Les Chants de Loss. Si vous êtes tentés, vous pouvez acheter les trois volumes en les commandant directement aux Editions Stellamaris !
Il ignorait son nom et ne le connaitrait sans doute jamais. C’était un jeune marin, qui n’avait peut-être même pas quinze ans ; il était aussi effrayé que la fille face à lui, aussi démuni et désarmé qu’elle pouvait le montrer, fasciné par la même terreur dans ses yeux verts que celle qui devait sûrement briller dans les siens. Il n’était vêtu que d’un pantalon court, trop grand pour lui, et une tunique de lin élimé qui devait avoir l’âge de son propre père. Il était piteusement armé d’une simple rame, trop grande pour ses bras frêles. La jeune femme, si petite que, dans un premier temps, il l’avait confondue avec une enfant, était vêtue d’un sarouel de soie mauve pastel, brodé de bleu et d’or et d’un gilet court sans manche et ouvert sur sa poitrine nue, qu’il cachait à peine ; une tenue que seules les esclaves osaient porter. Mais de toute manière, même sans apercevoir de collier annelé à son cou, il n’aurait pu douter qu’elle fut autre chose : emportée par le vent et le souffle des boulets hurlant dans le ciel, la vaste masse de ses cheveux roux, qui volait pareil à des mèches de feu incandescent, dissipait toute interrogation.
Il allait mourir. Pas que ce fut écrit ou qu’une vieille sorcière le lui ait prédit, mais, quand les navires du port lâchèrent leur troisième salve destructrice sur leurs adversaires et partout sur les quais, il vit les boulets qui chutaient inéluctablement vers lui et ses compagnons de misère. Ils n’avaient même pas tous encore embarqué sur la petite chaloupe armée qui, face aux énormes galions en train de s’entredétruire dans la hanse du port intérieur de Mélisaren, faisait figure de fétus de paille. Les masses de fer incandescentes n’avaient pas besoin d’être explosives : leur simple impact projetait des éclats de pierre et des échardes de bois de plusieurs kilos, avec assez de puissance pour couper un homme en deux. Son père et son oncle avaient fini ainsi et il semblait que ce serait son destin, alors qu’il voyait rugir la pluie de mort fonçant vers lui, vers cette esclave rousse si étonnante, vers ses compagnons d’armes dont il ne connaissait pas la moitié de nom.
Mais la fille se met à crier… non, plutôt Chanter. Mais encore une fois, non, ce n’était pas un chant ; ça n’avait rien de commun avec la voix humaine. Aucune corde vocale n’aurait pu donner vie à ce qui lui semblait être la cacophonie stridente, cristalline et irrésistible à la fois, de mille voix de concert. Il y eut une vibration dans l’air, comme si l’eau et le ciel se mélangeaient dans la palette d’un artiste tournant ses couleurs. Il la vit tendre le bras vers le ciel et, ce qui ne pouvait être qu’impossible arriva pourtant : les boulets de canon qui auraient dû tous les tuer furent frappés de langueur, devenus mous et lents comme des marcheurs en paisible flânerie. Ils tombèrent lourdement dans les eaux juste devant le canot et les quais, tandis qu’à moins de trente mètres de là, d’autres frappaient leur cible aveuglément en projetant des bouts de bois, de pierre et de corps humains ravagés par les explosions. Le marin fixa encore la fille rousse, incrédule, comme tous ses collègues en vie, contre toute attente.
— Par les Hauts-Seigneurs, que soient témoin les Étoiles de te bénir ! s’exclama-t-il, pris soudain entre un fou rire irrésistible et des larmes brûlantes de peur.
La fille lâcha un sourire, le regard épuisé, mais repartit en courant vers les entrepôts sans s’attarder. Il y eut un tonnerre d’exclamations à son passage, à peine couvert par les explosions des canons des vaisseaux qui continuaient à cracher la mort. Le plus vieux des marins s’exclama :
— Une Chanteuse de Loss ! Un démon Chanteur de Loss !
Le jeune garçon, essuyant ses larmes, lui tapa sur l’épaule :
— Mais elle nous a sauvés…